Julie Charron
Enseignante en sociologie

L’émotion de la colère est l’un des moteurs de changement social les plus puissants dans l’histoire. Transformée en actions, cette émotion est le socle des manifestations militantes de nombreux mouvements sociaux en quête de justice sociale. C’est la colère qui nourrit le féminisme de vague en vague et qui permet à de nombreuses personnes de prendre conscience des injustices et de l’oppression qu’elles vivent. Je suis devenue féministe à une époque où l’on nous disait que « l’égalité était déjà là », que le féminisme n’avait pas sa raison d’être. Jeune enseignante, j’étais très souvent confrontée à ma colère devant des personnes, des intellectuels et des proches qui tenaient des propos anti-féministes. Il fallait parler de l’oppression des femmes et du féminisme à voix basse au risque d’être étiquetée de féministe hystérique bruleuse de brassières, sans doute l’acte le plus violent du mouvement féministe qui n’a, par ailleurs, jamais eu lieu. Après 20 ans de backlash, grâce aux jeunes femmes et à celles qui ont gardé le silence trop longtemps, le féminisme transforme à nouveau la vie sociale. Aujourd’hui, il est plus accepté de parler d’inégalités sexuelles et de se revendiquer féministe, et ce, malgré la persistance d’un discours anti-féministe qui nous dit encore « qu’on va trop loin ». Grâce à ce que nous connaissons maintenant comme la quatrième vague du féminisme, nos classes sont remplies de jeunes femmes et de jeunes hommes qui s’identifient comme féministes et qui ont soif de justice et d’égalité. Les étudiantes, avant même que j’ai enseigné une once de théories féministes, nomment et dénoncent les raisons de leur colère : le harcèlement sexuel qu’elles vivent de la part de clients dans les restaurants où elles travaillent, le discours sexiste et dangereux d’Andrew Tate, leur agression sexuelle dans l’environnement du CLG, les propos sexistes tenus par un client qui ne veut pas être servi par une femme qui vend de la peinture, avoir été droguée dans un bar de Laval comme plusieurs de leurs amies, etc. Les raisons de notre colère sont nombreuses, mais la beauté de la colère féministe c’est qu’elle « ne mène pas trop loin », elle mène vers une société plus égalitaire. Comme à tous les 8 mars, les médias nous donneront de nombreuses raisons de recharger notre colère, mais le 8 mars, c’est aussi l’occasion de raconter aux plus jeunes et à nos enfants les luttes du mouvement féministe pour les droits des femmes. C’est l’occasion de dire aux filles que, devant l’inégalité, la colère est une émotion légitime et puissante et qu’elle leur permettra de continuer à faire des vagues.