Par Joan Sébastien Morales
Secrétaire général, SEECLG

J’aurais aimé éviter la grève, je vous l’assure. Rien ne m’aurait fait plus plaisir que de retourner enseigner dans la bonne entente et la joie du temps de fêtes. Jusqu’à jeudi dernier, j’y croyais toujours. Mais comme qu’on dit : si vis pacem, para bellum. Alors pour la cinquième fois, on se lève à la première heure pour aller se geler les guibolles par -10 dégrées au mois de décembre pendant 6… non finalement 4 heures par jour et avec une coupure salariale deux semaines avant Noël. Alors pourquoi fais-je la grève? Me le suis-je demandé…  

Je grève par solidarité pour les professeurs du primaire et du secondaire, pour les enfants. Je grève pour les infirmières, pour les patients. Je grève pour mes futurs étudiants, pour les enseignants des cégeps. Nous ne faisons pas classe à part. Les précaires pullulent. Pendant des lustres, ils ne savent jamais s’ils travailleront la session suivante. On veut nous imposer l’enseignement à distance. Nous ne sommes pas naïfs! Cela permet au gouvernement d’économiser de l’argent, entre autres, dans la rénovation et la construction d’infrastructures. Mais qui veut enseigner à des carrés noirs? Qui a choisi ce métier pour passer ses journées devant un écran? Qui veut imposer un tel isolement social dévastateur à nos étudiants?  Nous demandons nous aussi une réinjection de ressources dans les classes. Même combat que la FAE. Enseigner à 37 étudiants dont 18 avec des diagnostics variés, est-ce viable? Le collégial, comme tout le reste du réseau scolaire public, est sous-financé. Pas besoin de chercher loin pour expliquer la hausse des arrêts de travail, des épuisements professionnels et des recours au PVRTT. 

Nous faisons partie d’une alliance. En revanche, on n’a pas le contrôle ni sur le moment ni le comment on fait la grève. Nous sommes minoritaires dans le front commun. Il y a toutes sortes de corps d’emplois, toutes sortes de réalités. Mais ensemble, on est plus fort! C’est la base même du syndicalisme, de l’action collective. Et la grève fonctionne! Je disais à quelqu’un, à la blague, qu’on gagne presque 2% par séquence de grève. On a débuté à 9% d’augmentation, on est passé par 10,3% et à l’écriture de ces lignes, nous en sommes à 12,7%.  Je suis un peu déçu des médias qui relaient les chiffres trompeurs du gouvernement. Un montant forfaitaire n’est pas une augmentation de salaire récurrente. Et depuis quand interprète-t-on une injection de ressources comme une augmentation salariale?

Legault veut plus de souplesse dans les conventions collectives. Ça me fait tiquer. À tous les jours nous, et tous les employés de la fonction publique, faisons preuve d’une énorme flexibilité. Quand un virus chamboule nos vies. Quand la classe se transforme en sauna humide. Quand le projecteur ne projette pas. Quand le serveur ne sert plus. Quand l’étudiant fait une crise de panique. Quand des grèves deviennent nécessaires.

Bien sûr, la grève a un impact sur les étudiants et les enfants. On doit faire des choix difficiles et la session n’est pas pédagogiquement parfaite. Le petit dernier passe sa journée sur sa tablette parce que les parents doivent travailler. Personne ne le fait de bon cœur et on s’adapte comme on peut. Mais il faut voir à long terme! La grève reste, et a toujours été, le seul moyen de se faire entendre, d’améliorer notre sort et de tisser le filet social. Nommez-moi une autre façon de faire et je vous suis! Nos conditions de travail actuelles et les services publics sont les résultats de luttes syndicales antérieures.  Et non, on ne se paye pas nos augmentations. Quelques formules dans un chiffrier le démontrent aisément. Faut-il avoir peur d’une loi spéciale nous sommant de retourner travailler? Avec l’arrêt Saskatchewan et les récentes victoires des juristes de l’état et des travailleurs et des travailleuses de la construction, une loi spéciale pourrait être contestée devant les tribunaux.  Legault le sait. 

Amenez-en des journées de grève! Nous sommes à un point décisif de notre histoire et nous avons le momentum! L’idéal d‘une société québécoise rêvée par nos parents est aujourd’hui déconstruit pierre par pierre par la vision entrepreneuriale de la CAQ et des gouvernements précédents. « C’est comme ça que ça marche au privé, et c’est comme ça que ça devrait marcher dans le secteur public » dit Legault.  C’est bien connu, le privé est un modèle à suivre. J’aurais le goût d’élaborer là-dessus on dirait. Parce que le privé réduit les inégalités et prend soin de l’environnement, c’est évident. « Il faut respecter la capacité de payer des contribuables ». On dépense pour l’éducation et la santé, mais on investit dans les usines de batteries et le retour des Nordiques. Le choix des mots est important. Il faudrait surtout respecter la capacité de réfléchir et de se mobiliser des contribuables. Choisir où l’argent va, c’est un choix politique. « Ça risque de brasser » dit Legault. Ben parfait, faut que ça brasse!  

Référence

https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-12-08/negociations-du-secteur-public/ca-risque-de-brasser-previent-legault.php