
C’est tout un automne qui se boucle lentement à Lionel-Groulx… Alors qu’on navigue toujours dans une marée de virus, qu’on décante encore les événements du 18 novembre et qu’on accumule les piles de copies à corriger, on voit se pointer à l’horizon des discussions bouleversantes pour la session d’hiver. Enseignement à distance, augmentation du nombre d’étudiants au Collège, les sujets de méditation ne manqueront pas pour nos congés des Fêtes!
Le sondage sur l’enseignement à distance et le rôle consultatif de la CÉ ou mon rôle de plante verte à la Commission des études…

Par Geneviève Fortin, vice-présidente du SEECLG
Comment en sommes-nous arrivés à vous recommander de ne pas répondre à un sondage sur lequel nous avons investi temps et énergie?
Cet automne, la commission des études (CÉ) a consacré une première rencontre à présenter un sondage sur l’enseignement à distance pendant la pandémie. Étant donné que la direction souhaitait toujours aller de l’avant avec ce sondage, le syndicat a investi beaucoup de temps et de discussions pour en faire un sondage plus complet et moins tendancieux dans la formulation des questions. Marie-Claude Nadeau et moi avons passé plus d’une heure avec la direction adjointe des études pour lui présenter nos recommandations.

Lors de la CÉ du 17 novembre, nous avons discuté d’une nouvelle version du sondage où plusieurs changements avaient été apportés, mais un sondage encore bien incomplet à nos yeux, et surtout, un sondage qui allait guider « une réflexion collective sur la place de l’enseignement à distance sous toutes ses formes au Collège Lionel-Groulx. »
Le sondage que vous avez reçu dans une note de service du 30 novembre contient moins de la moitié des questions présentées dans le document de la CÉ. Même si certaines améliorations ont été apportées, quand j’ai vu le résultat final, je n’ai pas senti que notre travail avait été pris véritablement en considération et je me questionne sur le réel rôle consultatif de la CÉ. D’où mon impression de plante verte. Je souhaiterais un plan de travail moins chargé qui laisserait plus de temps pour les réflexions et les discussions pédagogiques.
Je vous suggère deux lectures complémentaires pour alimenter la réflexion sur l’enseignement à distance :
Le rapport de la Vérificatrice générale du Québec, même si ça concerne l’enseignement primaire et secondaire, offre une perspective élargie sur ce sujet. Le rapport de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) par Éric N. Duhaime concerne spécifiquement le collégial.
Le sous-comité calendrier et son rôle consultatif ou facultatif? D’autres plantes vertes?

Vous avez vu les infos sur le dernier calendrier dans la même note de service? Sachez que le sous-comité calendrier (on aime ça les sous-comités à Lionel) s’était rencontré quelques jours avant CÉ extraordinaire du 29 novembre pour travailler sur un nouveau calendrier. Malheureusement cette proposition ne tenait pas compte de la réalité particulière des programmes de théâtre et théâtre musical. C’est donc sans consulter le sous-comité calendrier que la Direction des études a sorti une nouvelle proposition de son chapeau. Une suggestion qui semble avoir ravi une grande majorité des membres de la CÉ dont les membres du sous-comité calendrier.
Dans la note de service, on nous indique que la journée du lundi 21 novembre « doit être reprise ». Pourtant la session comportait 84 jours, alors que nous avons l’obligation de tenir un minimum de 82 jours de cours et d’évaluation.[1] Cette modification au calendrier à l’aube de la 14e semaine de la session était-elle vraiment nécessaire?
D’autres sous-comités de la CÉ…
- Le sous-comité sur l’augmentation du nombre d’étudiants au Collège s’est rencontré à 3 reprises cet automne. C’est dans un climat convivial (avec beignes et muffins) que nous sommes arrivés à des recommandations qui respectent l’essentiel de la résolution de l’assemblée générale des profs. Il reste tout de même plusieurs éléments en suspens étant donné les informations manquantes : aurons-nous les classes modulaires à temps pour la rentrée, quel sera le nombre réel d’admissions et combien seront présents dans nos classes à l’automne 2023? Il faut aussi noter que le Comité des relations de travail (CRT) a formé un sous-comité pour se pencher sur les enjeux de conditions de travail.
- Les nombreux sous-comités de la Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages (PIEA) ont été moins actifs cet automne et nous attendons toujours les résultats de la consultation sur la présence aux cours (sous-comité qui a amorcé ses travaux l’année dernière). Nous vous tiendrons informés s’il y a des enjeux au sujet de la PIEA lors de la prochaine session.
Finalement, c’est sur un ton plus léger que je nous souhaite à toutes et à tous une bonne fin de session et une période des Fêtes en santé!
[1] Règlement sur le régime des études collégiales https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/c-29,%20r.%204
Des ressources pour préparer les intenses discussions sur l’enseignement à distance
Le rapport de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) par Éric N. Duhaime concerne spécifiquement le collégial.
« Si rien n’est fait pour assurer une meilleure coordination nationale de l’offre de formation à distance, le dédoublement des programmes offerts par de multiples établissements et la croissance des programmes offerts à partir de régions urbaines risquent d’entraîner une situation de concurrence malsaine… »:
Le rapport de la Vérificatrice générale du Québec à propos de l’enseignement à distance durant la pandémie de COVID-19, même si ça concerne l’enseignement primaire et secondaire, offre une perspective élargie sur ce sujet:
Le rapport intitulé L’ENSEIGNEMENT À DISTANCE: Enjeux pédagogiques, syndicaux et sociétaux, produit en 2019 par le Comité école et société de la FNEEQ pose un regard critique et réfléchit aux « conditions acceptables » de l’enseignement à distance pour le collégial:
D’un surplus de 0,6 à un déficit de 7,6 ETC
D’autres détails à propos du CRT

Par Denis Paquin, président du SEECLG
Aux Comité des relations de travail (CRT) du 1er et 8 novembre, nous avons observé une dégradation importante de l’état de santé de la « masse enseignante ».
Au moment d’établir les prévisions, le 19 avril 2022, le Collège prévoyait un certain équilibre entre les ressources financées par Québec et les ressources allouées localement aux départements (il prévoyait même un léger surplus de 0,6 ETC sur un total prévu de 407).
Or, il y a eu un écart important entre la prévision et le réel, comme nous l’avons constaté avec la mise à jour du projet d’allocation, le 8 novembre dernier : le surplus anticipé devenait alors un déficit de 7,6 ETC… Le Collège a, en d’autres mots, embauché « trop » d’enseignant.es par rapport au financement accordé. Comme nous avions un surplus cumulé au cours des dernières années de 2,3 ETC, le déficit que nous devrons éponger l’année prochaine sera de 5,3 ETC (si les prévisions sont cette fois conformes).
Comment expliquer cette situation?
Nous avons questionné la partie patronale en CRT afin de mieux comprendre cette situation et de nous assurer qu’elle ne se reproduise pas au cours des prochaines années. Nous avons eu des réponses partielles, des explications ici et là. Il s’agit, bien évidemment, d’un enjeu complexe dont voici quelques pistes d’explications :
- Une réserve de 1,5 ETC afin de financer un gain de la dernière convention collective, soit une amélioration de la rémunération des vacances d’été pour les personnes en congé d’invalidité. Et cette réserve de 1,5 ETC ne sera sans doute pas suffisante afin de couvrir les coûts que la masse devra assumer.
- Des changements dans les comportements des étudiant.es avec un « magasinage » de cours et des désinscriptions plus importantes que prévu. Le Collège ouvre ainsi des groupes qui théoriquement se financent au début de la session, mais qui deviennent déficitaires à la date de désinscription… Un ajustement dans les décisions d’ouvertures et de fermetures des groupes est donc à prévoir.
- La formation continue pioche encore des ressources dans la masse enseignante alors que le Collège finance l’élaboration ou la révision des Attestations d’études collégiales (AEC) à partir de la masse salariale de la formation régulière.
- La majorité des programmes au Collège ne rentrent pas dans leur financement, c’est-à-dire que le financement alloué par Québec est souvent inférieur aux ressources qu’on leur attribue localement. Un travail d’analyse sera nécessaire à cet égard.
Terminons en soulignant que les explications de la partie patronale sont, à ce stade, loin d’être satisfaisantes.
Quels seront les impacts?
Vous avez sans aucun doute observé l’effet immédiat de ce déficit dans la diminution de l’allocation reçue par votre département. La convention collective prévoit que le Collège peut octroyer entre 97% et 100% des ressources financées aux départements pour le volet 1[1]. Habituellement, à Lionel ce pourcentage est de 98%, comme cela était le cas pour la session d’automne 2022. Il a été abaissé au minimum prévu de 97% pour la session d’hiver (pour la même tâche, nous avons donc moins de ressources). Il est fort probable que ce nouveau pourcentage s’applique aussi au cours des prochaines sessions.
La convention prévoit aussi que le Collège devra résorber l’année prochaine ce déficit en réduisant les ressources allouées aux volets 2[2] et 3[3]. Il est toutefois possible d’étaler cette récupération sur plusieurs années après entente en CRT.
Donc, moins de ressources aux volets 1, 2 et 3 sont à prévoir pour l’année prochaine. Mais un autre effet indirect devrait aussi nous toucher. Le Collège devra bloquer dans son solde de fonctionnement (ce qui sert à payer les dépenses courantes) une somme d’argent correspondante à la valeur monétaire à ce déficit. Il aura donc moins d’argent pour soutenir l’enseignement…
[1] Le « volet 1 » de la tâche enseignante comprend toutes les activités inhérentes à l’enseignement comme la préparation et la prestation de cours ainsi que l’encadrement des étudiant.e.s, etc.
[2] Le « volet 2 » de la tâche enseignante peut comprendre, pour certaines enseignantes et certains enseignants, des fonctions liées aux responsabilités collectives comme la coordination départementale ou de programme ainsi que les activités particulières d’encadrement, etc.
[3] Le « volet 3 » de la tâche enseignante peut comprendre, dans la mesure où l’enseignante ou l’enseignant y consent, des activités de perfectionnement et de recherche, etc.
L’écriture inclusive à Lionel-Groulx (bis)

Par Nicolas Tremblay, professeur de littérature et de français
Dans la précédente édition du De vive voix, mes collègues Josiane Myre et Sylvie Plante ont répliqué respectivement à mon article « L’écriture inclusive à Lionel-Groulx », qui résumait les propos tenus par les linguistes Monique Cormier (terminologue) et Sophie Piron (grammairienne et historienne du français) lors de l’événement sur l’écriture inclusive organisé par la Valorisation de la langue française. Dans cet article, j’ai défendu une position défavorable à l’écriture inclusive à la fois sur la base de mes propres réflexions et des propos tenus par les deux spécialistes. C’est cette position à contre-courant de l’inclusivisme ambiant que critiquent Myre et Plante. Je leur suis reconnaissant à toutes deux de contribuer au débat d’idées et de me donner l’opportunité de clarifier et de bonifier mon propos.
Je réagis donc point par point aux principaux reproches et critiques que m’adressent mes collègues afin de redorer un peu mon image.
Mon point de vue est partiel
Évidemment, j’ai brossé un portrait partiel du sujet de l’écriture inclusive. La langue est un objet complexe tant dans son aspect actuel qu’historique. Je ne pense pas que nous puissions l’épuiser dans le De vive voix…
Mon point de vue est partial
J’accepte cette critique de bonne foi. J’aurais dû, en effet, présenter le camp des réformateurs avec plus de diligence. Je me reprends donc ici dans un esprit de repentance. Nous avons la chance, au Québec, de compter sur des esprits agités en cette matière; ils proposent des grammaires non sexistes très innovantes. Je pense à Céline Labrosse et au duo de juristes formé de Michaël Lessard et Suzanne Zaccour. Leurs ouvrages sont très accessibles. Les curieux les trouveront facilement.
En France, Éliane Viennot, professeure de littérature et spécialiste de la Renaissance, constitue une référence majeure pour les inclusivistes. Ses essais cartonnent. Comme l’a spécifié Sophie Piron lors de notre événement, les thèses de Viennot sont très séduisantes, et elles séduisent. Avec Viennot, nous avons l’assurance que le français est sexiste et qu’il a été masculinisé au XVIIe siècle (par les remarqueurs comme Vaugelas et les Académiciens). Ces deux thèses sont devenues des lieux communs rarement remis en question. Viennot est citée par tous les militants inclusivistes, qui en font leur papesse (notez le féminin), ainsi que par l’agence de communication Mots-Clés, un acteur très influent en France dans la promotion de l’inclusion dans la langue.
Je pourrais ajouter à cette liste incomplète les nombreux guides d’écriture inclusive adoptés par plusieurs institutions québécoises. Je pense à celui assez révolutionnaire des Universités du Québec, de l’INRS (plus modéré), ou au manuel de rédaction épicène de l’OQLF, Avoir bon genre à l’écrit. La liste s’allonge indéfiniment par suivisme. Je conçois que mon avis compte peu pour contrer un pareil phénomène…
Du côté du camp adverse, les langues se délient de plus en plus. Au Québec, hormis Piron, peu de linguistes s’opposent à l’orthodoxie inclusiviste, malheureusement. Mais pas en France où de grandes éminences se prononcent en sa défaveur. À titre d’illustration, je vous suggère, chers lecteurs (et lectrices, bien entendu), la tribune « Les laissés-pour-compte de l’écriture inclusive : un problème linguistique et social » signée par 32 linguistes en 2020 (https://www.mezetulle.fr/les-laisses-pour-compte-de-lecriture-inclusive-un-probleme-linguistique-et-social/). Parmi ces signataires, on retrouve deux linguistes qui, il me semble, ont publié des ouvrages définitifs sur la question. Il s’agit de Jean Szlamowicz (Le sexe et la langue, Intervalles, 2018) et de Patrick Charaudeau (La langue n’est pas sexiste. D’une intelligence du discours de féminisation, Le bord de l’eau, 2021). Ces ouvrages, bien que complexes, méritent franchement le détour.
Au sujet de ma présumée partialité, je précise un dernier point. Je tâche de critiquer l’écriture inclusive depuis la linguistique. Je ne suis pas un philosophe, ni un sociologue, ni un féministe, encore moins un militant. Je me base sur la linguistique comme science (que je connais pour l’avoir étudiée à l’université), notamment sur les concepts de la linguistique générale élaborés depuis Saussure. La linguistique générale défend la thèse de l’arbitraire du signe linguistique. En ce sens, le genre grammatical (masculin et féminin) n’est pas motivé (par le sexisme, par exemple); il s’est plutôt construit sur des bases phonétiques purement contingentes. Szlamowicz et Charaudeau développent leur pensée à partir de ce fondement que les inclusivistes nient carrément, mais sans pouvoir le prouver de façon convaincante du point de vue de la recherche universitaire (qui a ses exigences sur le plan de la méthodologie et de la raison). C’est un problème majeur.
Je suggère aux plus curieux de s’aventurer dans la colossale Histoire du français de Ferdinand Brunot, disponible dans notre bibliothèque (jusqu’à ce qu’on se décide de l’élaguer sous prétexte que nos étudiants ne l’empruntent pas). La langue est avant tout un phénomène oral; l’écrit vient en second pour tâcher de la représenter. Pour cette raison, qui tient à sa secondaréité, on peut manipuler l’écrit plus facilement pour le rendre conforme à nos propres désirs. L’oral, lui, tient de la spontanéité et résiste naturellement aux prescriptions. Il est aussi économe et préfère la simplicité (par exemple, l’accord du participe passé avec avoir tend à l’invariabilité).
Des études en psycholinguistique prouveraient le machisme dans la langue
Ma collègue Myre cite un psycholinguiste qui aurait prouvé, étude à l’appui, que le masculin générique employé pour désigner des ensembles mixtes induirait chez le locuteur une représentation de sujets exclusivement masculins. Il n’est pas rare d’entendre cet argument de taille chez les inclusivistes (le guide d’écriture inclusive des Universités du Québec n’y manque pas, de même que l’agence Mots-Clés, tous deux cités plus haut). Le masculin générique induirait de façon inconsciente une perception essentiellement masculiniste du monde, ou, selon des concepts à la mode, une vision hétéronormative, androcentrique, etc.
Outre mon ignorance en neurologie et en psychologie, j’admets ici ma plus complète consternation. On dirait que ce genre d’étude produit un biais de confirmation. Si je dis ceci : « Qui sont les plus grands sportifs du XXe siècle? », et que, massivement, les sondés répondent en nommant exclusivement des athlètes masculins, dois-je en conclure que le masculin générique invisibilise les femmes, que je ne me représente que des hommes (barbus, virils…)? Qu’est-ce au fond qu’une représentation masculine? Si les réponses sont insatisfaisantes, ne doit-on pas corriger l’ambiguïté en modifiant la question en y ajoutant que les sportifs incluent aussi les femmes? Ce type de questionnement me semble biaisé dans la mesure où il ne fait pas la distinction élémentaire (en linguistique) entre banque de mots et énoncé, entre marqueurs masculins (qui peuvent à la fois désigner les mâles et neutraliser la différence sexuelle) et marqueurs féminins spécifiques. On sait depuis Saussure que la langue n’est pas une nomenclature et, depuis Benveniste, qu’elle repose sur une énonciation discursive, bref que le contexte fait foi de tout.
Ce type de conclusion sur la représentation psychologique du langage est remis en question par les recherches les plus récentes en sciences cognitives. Que les langues induisent une vision du monde (sexiste ou machiste, par exemple) ne serait pas démontrable. Dans ses derniers cours de l’année pandémique 2020-2021 au Collège de France, Stanislas Dehane, spécialiste en psychologie cognitive expérimentale, rejette catégoriquement l’hypothèse déterministe du langage sur nos représentations mentales. Les mots n’auraient que très peu de pouvoir sur notre pensée. Ce qui compte dès lors, c’est la culture et l’univers, eux seuls conditionnent la pensée non verbale. En d’autres mots, qu’une société devienne plus égalitaire et les représentations changeront (et ce, peu importe les mots pour la nommer[1]). Les curieux peuvent écouter les cours du professeur sur le sujet sur le site du Collège de France à cette adresse : https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2020-09-01-09h30.htm.
Humblement, je ne sais pas qui des deux a raison, le psycholinguiste de Myre ou le mien. Je laisse les futurs spécialistes en la matière se pencher sur la question. Mais je suis d’avis que leurs conclusions ne seront que lacunaires et temporaires. C’est ainsi que la science avance, par tâtonnement, pas à coup de certitudes.
La langue doit représenter tout le monde
Cette sommation me laisse perplexe. Premièrement, la langue n’est pas un discours. Elle ne représente rien ni personne. En tant que système phonétique, lexical, syntaxique, grammatical, elle n’est qu’une virtualité qui peut tout dire. Les mots ne sont pas des calques de la réalité. Quant à l’écriture alphabétique, elle ne représente pas le réel mais les sons de la langue et son système morphosyntaxique.
Deuxièmement, la langue n’est pas conçue pour représenter des minorités, ni des majorités. Vous pas plus que moi ne sommes représentés dans la langue, à moins que vous ne réduisiez l’humanité qu’aux deux sexes qui la composent (il s’agit d’un universel dont tiennent compte toutes les cultures et que confirme la biologie). Le signe linguistique se passe des référents. Il transcende le réel qui est, par définition, changeant. Cela explique pourquoi il nous permet d’entrer en relation avec le passé et ce en quoi il constitue un legs, une transmission entre les générations.
Les grammaires queer sont-ils des épouvantails pour moi?
On me reproche d’avoir employé l’expression « grammaire queer » pour dénigrer l’inclusivisme dans la langue comme s’il s’agissait d’un épouvantail doit il faut avoir peur. Le mot queer ne serait ici, à l’instar du mot woke, qu’un terme péjoratif employé par des détracteurs pour critiquer un mouvement de pensée légitime. Je persiste et je signe. La Théorie Queer existe bel et bien. Je pense qu’elle est une calamité sur le plan intellectuel, encore plus quand elle se mêle de langue et de linguistique. On assiste dès lors à une instrumentalisation totalitaire, purement délirante. Je vous invite à lire Helen Pluckrose et James Lindsay, Le triomphe des impostures intellectuelles. Comment les théories sur l’identité, le genre, la race gangrènent l’université et nuisent à la société, H & O, 2020 (cet ouvrage culte, intitulé originalement Cynic Theories, est disponible à la bibliothèque du collège grâce à votre humble serviteur).
À titre d’exemple, voyez ce que donne la pensée queer chez un individu qui se surnomme Alpheratz, pseudonyme tiré du nom de l’étoile majeure de la nébuleuse d’Andromède, qui signifie « celle qui domine les hommes » : « Nous circonscrirons au seul critère du genre la présente étude sur le français inclusif, mais le genre n’est pas le seul critère de discrimination sociale : la cécité, la surdité, la dyslexie, la neuroatypie, l’obésité, la race, la classe, l’origine sociale, la glottophobie (etc.) en sont d’autres. C’est pourquoi une définition d’une langue inclusive devrait tous les prendre en compte[2]… »
Les inclusivistes jubilent depuis que Le Robert a intégré le pronom iel. Je les invite à la modération. Lorsque Le Robert proposera une nouvelle catégorie grammaticale – ce qui serait vraiment queer puisqu’on assisterait à une refonte majeure du dictionnaire et du classement des noms –, on pourra souligner alors son progressisme. Pour la plus récente édition du Robert, le mot genre au sens de « construction sociale de l’identité sexuelle » relève d’un paradigme didactique, ce qui signifie que ce sens dénote une approche particulière, celle de la fluidité des genres, et qu’il s’inscrit pour cette raison dans un discours philosophique particulier, de type butlérien, en d’autres mots, celui d’une avant-garde militante. Pour la grande majorité des locuteurs, être homme ou femme est encore déterminé par le sexe biologique. Le sens des mots s’établit sur des conventions transgénérationnelles. La langue n’est la propriété de personne. C’est sans doute l’objet le plus démocratique qui soit.
Jean Szlamowicz donne cet exemple très éclairant dans Les moutons de la pensée (Les éditions du Cerf, 2022). Il est courant d’entendre dans l’univers des genders des expressions comme il n’est pas né dans le bon corps. Le garçon doté d’une âme féminine est alors amené à se sentir femme. Sur le plan du sens des mots, cette dernière expression est tout à fait absurde. Se sentir, ce n’est pas être, pourtant si le garçon n’est pas né dans le bon corps, c’est donc qu’il est une femme, qu’il en incarne l’essence. Alors, il se sent femme ou il l’est? Puis, « que peut bien vouloir dire “se sentir femme” quand on ne l’est pas : que peut-on en savoir? » L’autre (sexe) est bien un autre, il y a altérité. Enfin, pour que cet énoncé soit intelligible, il faut que le mot femme ait le même sens pour l’ensemble des locuteurs. Alors, c’est quoi une femme, les queers peuvent-ils nous le dire? Moi, j’en perds mon latin.
Sophie Piron et l’idéologie
Lors de l’événement organisé par la VLF, Sophie Piron a démontré longuement pourquoi le masculin générique ne s’était en rien édifié sur des bases sexistes. Cette démonstration étoffée a déplu étrangement à ma collègue Sylvie Plante. Selon elle, il s’agit d’une vision idéologique. Piron ne verrait pas la poutre dans son œil. Son exposé serait le reflet inconscient du patriarcat qui détermine son discours, comme si Piron n’avait aucun libre arbitre et que sa pensée était corrompue par un conditionnement politique. C’est une façon élégante de disqualifier son discours.
Ce relativisme est une dénégation grave du professionnalisme de notre invitée que je digère très mal. Pour connaître les travaux de Piron, je sais à quel point ils sont menés avec un sérieux incontestable et dans le respect de la méthodologie disciplinaire (que nous enseignons nous-mêmes à nos étudiants afin de les prémunir contre les idées préconçues). Je pourrais citer à tire d’exemple son étude fouillée de la féminisation des noms d’agent dans les dictionnaires du XVIIe siècle, qui conclut à une vague de féminisation (à l’encontre des thèses féministes de Viennot) : « Des premiers dictionnaires à la lexicographie profane : parcours lexicographique de féminisation. »
Ma conclusion
L’inclusivisme dans la langue est un mouvement qui a le vent dans les voiles. Nombreux sont ceux qui croient qu’il est nécessaire et qu’il participe d’une évolution. Que des figures d’autorité comme Saussure affirment que les états antérieurs d’une langue sont tout aussi valables que ceux du présent (bref, il y a des changements linguistiques mais pas d’évolution), ne changent rien pour les utopistes. La langue est, pour eux, un instrument politique manipulable et perfectible. Dire le contraire présentement, comme je m’y applique aujourd’hui, c’est jouer au prophète qui crie dans le désert. Je rassure donc mes deux collègues. Le combat que je mène est perdu d’avance.
Note : Cet article n’a pas été rédigé selon la rédaction épicène mais dans un français commun, partagé par la majorité. Je m’excuse auprès de tous ceuxses qui se sont sentis offensé.e.s, telle n’était pas mon intention. En mon sens – que partagent de nombreux savants auxquels je me réfère –, le masculin générique – par son effet de neutralisation de la variable du sexe dans les noms d’humains – tend à l’universalisme et n’est en rien un vestige du patriarcat. Mais quel idéologue crasse je fais! On devrait me rééduquer sur le champ.
[1] Permettez-moi cet exemple inspiré de mes propres intérêts. Si je demande qui est le meilleur athlète (masculin générique qui englobe tous les individus peu importe leur sexe) de l’UFC avant, disons 2015, je répondrai sans doute Georges Saint-Pierre (un homme). Mais si je dis qui est le meilleur athlète de l’UFC entre 2015 et 2020, je risque de répondre Amanda Nunes, une femme. À l’époque de Saint-Pierre, il n’y avait pas de femmes dans les arts martiaux mixtes (phénomène culturel). Plus les femmes s’imposent culturellement, plus je penserai à elles, nonobstant l’emploi du masculin générique (qui est une catégorie grammaticale, pas un existant sexué).
[2] Alpheratz, « Français inclusif : du discours à la langue? », dans Le Discours et la langue, Laure Rosier et Alain Rabatel (dir.), n°11.1, 2019, EME Editions.
Des nouvelles des négos
Notre salaire: « L’écart persiste et le rattrapage est nécessaire »
« Sur le plan des salaires, année après année, l’écart reste important. Il est de -11,9 % avec l’ensemble des autres salariés québécois. Après cela, le gouvernement s’étonne qu’en plein contexte de pénurie de main-d’œuvre, on peine à attirer et à retenir le personnel dans nos réseaux publics, en éducation, en santé et en services sociaux et en enseignement supérieur.»
Pour lire la suite du communiqué diffusé par notre Front commun:
Sapin syndical ambulant, décoré de nos cartes postales à la nouvelle Ministre: les souhaits des profs adressés à notre Mère-Noël Pascale Déry
Si vous êtes membres de notre Groupe SEECLG sur Facebook, vous avez vu Sapinou-Syndicalus se déplacer d’un endroit à l’autre pour apporter lumière et espoir aux enseignant.e.s. Voici quelques images du merveilleux travail réalisé par le Comité de mobilisation et de la participation enthousiaste des profs:















Crédit photo: Marie-Claude Nadeau
Info-négo du 30 novembre 2022:
La FNEEQ vous invite à répondre à un sondage sur la précarité
Ce sondage, effectué dans le cadre d’une recherche universitaire (Université Laval) a pour objectif de « mieux comprendre les différences entre les employé‑es à contrat à durée déterminée et les employé‑es à contrat à durée indéterminée, en particulier en ce qui les motive à s’engager dans une performance de haut niveau au travail ».
La FNEEQ ajoute: « Nous estimons que cette recherche nous aidera notamment à affiner le portrait de la précarité dans nos milieux de travail. »
Le questionnaire en français est disponible au lien suivant : https://www.surveymonkey.com/r/WH5GS8P
et en version anglaise, ici : https://www.surveymonkey.com/r/JT2V8YM
La date limite pour répondre est le 20 janvier.
Parce qu’il s’en passe des affaires dans les syndicats!
Voici le mensuel du Conseil central des syndicats nationaux des Laurentides (novembre 2022):
La vie syndicale en images




À venir :
15 décembre: Souper de Noël du Collège au Palace de Laval
30 décembre: Remise des notes dans Colnet avant 16h.
12 janvier: Activité d’accueil organisée par le Collège.
16 janvier: Dîner syndical de la rentrée et hommage au(x) retraité(s).
25 janvier: Assemblée générale.
Joyeuses Fêtes, collègues! Prenez des forces et préparez-vous à relever vos manches pour d’autres beaux défis enseignants cet hiver!
