C’EST MAINTENANT AUX ASSEMBLÉES GÉNÉRALES DE DÉCIDER.
12 janvier 2016 (lettre interne pour les membres du SEECLG, mais dont la teneur est d’intérêt plus large)
Réunis en instance le 7 janvier dernier, les délégués de l’Alliance des professeures et des professeurs de cégep (ASPPC) ont adopté à majorité[1], après un débat assez musclé, la proposition suivante :
«Que l’ASPPC recommande l’adoption de l’entente de principe entre le Comité patronal de négociation des collèges (CPNC) et l’Alliance des syndicats des professeures et des professeurs de cégep (ASPPC) intervenue le 7 décembre 2015.»
Étant donné le rôle que nous jouons à titre de représentants à l’ASPPC et l’obligation de nous rallier à une décision majoritaire, nous devrions vous recommander de voter en faveur de cette entente de principe. Or, comme nous ne croyons pas que cette entente constitue le maximum que nous aurions pu obtenir et qu’elle comporte des défauts importants, nous avons voté contre le fait de recommander l’entente et nous avons inscrit notre dissidence afin de conserver notre liberté de parole. Ainsi, selon nos statuts et règlements, puisque nous ne sommes pas en mesure de vous recommander l’adoption de cette entente de principe, nous inviterons un ou deux membres du comité de négociation à l’assemblée générale du 19 janvier prochain pour vous la présenter. La même chose s’appliquera pour l’entente de table centrale, comme ce fut expliqué en détail dans notre analyse du 22 décembre.
À l’instar d’autres délégations, nous aurions préféré une simple consultation des Assemblées sans recommandation d’acceptation de l’entente. Or, comme nous avions tenté cet amendement lors du regroupement cégep du 21 décembre qui portait sur la recommandation de l’entente de principe de table centrale, nous avons jugé que cette proposition aurait dû venir d’une délégation qui s’était opposée à une consultation sans recommandation. Or même si une délégation a soulevé l’idée, personne ne l’a fait formellement par crainte de refaire le même débat. Nous avons donc été étonnés d’apprendre que les syndicats FEC, lors d’une instance FEC qui s’est tenue immédiatement après l’ASPPC, ont décidé de ne pas recommander l’adoption de l’entente de principe à leurs membres, mais de simplement la présenter aux Assemblées générales (bref, de faire ce que nous voulions!). Ceci soulève un certain nombre de questions et démontre qu’il existe un réel inconfort avec la teneur de l’entente de principe pour plusieurs délégations.
LOIN D’ÊTRE LE PÉROU
S’il y a un consensus qui semblait se dégager lors de l’instance, c’est que l’entente de principe convenue avec le CPNC ne passera pas à l’histoire (ou alors pour les mauvaises raisons…!). Même ceux qui ont voté en faveur de l’acceptation y voient des failles et des zones de flou. Comme vous pouvez le constater à la lecture de l’Info-négo 11[2], les principaux «gains» obtenus ne feront même pas partie de la convention collective! En effet, sans l’obtention du rangement 23 (qui n’était pas une demande de négociation et qui a été convenu à la table centrale) et des ressources hors-convention de 10 M$ par année pour les EESH (annoncées à la fin du mois de novembre par le ministre de l’Éducation[3]), cette entente de principe n’aurait jamais existé. Nous déplorons d’ailleurs le ton de l’Info-négo, qui place ces deux enjeux et le retrait des demandes de reculs du gouvernement comme étant les plus grands gains de la présente négociation.
NOS RÉSERVES PAR RAPPORT À L’ENTENTE SECTORIELLE
Réallocation des ressources : Une partie des ressources que nous avons obtenues lors des deux dernières conventions collectives (95 ETC des 203 ETC pour les PES, 15 ETC de la colonne D) seront réaffectées à d’autres fins. Comme le partage national de ces ressources se fera selon certaines dispositions que nous ne connaissons pas encore, il est impossible de vous dire si nous aurons plus ou moins de ressources que nous en recevons présentement. Difficile, donc, d’y voir un gain.
Amélioration pour certains chargés de cours à la formation continue : Des ressources (entre 0,5 et 1,5 ETC[4]), que nous avons déjà dans le volet 1, seront réaffectées pour créer des charges à la formation continue. En soit, cet objectif est louable, et cette réaffectation constitue une certaine reconnaissance de la tâche des professeurs de la FC. Malheureusement, comme ces ressources sont déjà dans le volet 1, il est fort probable que ce déplacement vers la formation continue entraine plus de précarité au régulier.
Diminution de la CI maximale à 85 : De la même manière, des ressources (environ 1,5 ETC) pourront être utilisées afin de tenter d’empêcher que des profs aient des tâches annuelles dont la charge individuelle est supérieure à 85. En soit, ceci constitue une amélioration, mais le problème réside dans le fait que plusieurs enseignants ont actuellement des tâches supérieures à 85 (près de 18% des profs de Lionel-Groulx en 2014-2015) et que nous voyons difficilement comment la modification des paramètres de la CI (le facteur HP passera de 1,9 à 1,75 et le facteur PES passera de 0,08 à 0,07 pour l’excédent de 415 PES) pourrait réduire significativement la CI des professeurs qui dépasse 85. Les 1,5 ETC dont nous disposerons risquent de s’avérer insuffisants pour préserver les effets de la CI. Notons également que sans ressources suffisantes, la modification des facteurs de la CI ne changera absolument rien à la tâche de l’enseignant! En conséquence, une CI maximale à 85 ne donnera pas plus d’emploi aux précaires et pourrait même diminuer le nombre de charges à temps complet dans le collège.
EESH ET RANGEMENT 23
Ajout de 10 M$ par année pendant 5 ans pour l’encadrement des étudiantes et des étudiants en situation de handicap (EESH) : Une répartition entre les collèges du Québec d’environ 125 ETC par année se fera au prorata du nombre d’étudiants EESH déclarés dans chacun des collèges. Ces ressources enseignantes devront servir exclusivement pour les EESH. Le Ministère a indiqué que le saupoudrage dans les disciplines ne sera pas possible. Nos représentants soutiennent que ces ressources pourront faire partie du volet 1 ou du volet 2 de la tâche et pourront donc créer des postes. Les nombreuses questions et échanges tenus en ASPPC à ce sujet nous inquiètent énormément. Nous doutons sérieusement que le Collège accepte de créer des postes pour des ressources possiblement non-récurrentes[5] et soumises à des processus de reddition de comptes. De plus, nous savons que certaines directions ont déjà fait savoir que ces ressources, initialement prévues pour les conseillers pédagogiques, ne seraient pas discutées en CRT avec le Syndicat puisqu’elles sont hors-convention et que le Collège peut donc décider seul. Bref, encore une fois, bien que cela constitue une amélioration (les EESH alourdissent notre tâche, et des ressources sont nécessaires), nous avons l’impression, avec ces ressources, de mettre la main dans un panier de crabes.
Rangement 23 : On ne peut pas être contre la reconnaissance d’un rangement pour les profs de cégep; depuis le temps qu’on attend cela! Par contre, de nombreux éléments entourant cette avancée provoquent de profonds malaises : 1) le moment où cela s’est négocié en emportant tout le reste avec lui, alors que ce n’est pas un objet de négociation; 2) le chantage qui y est associé (selon le comité de négo : pas d’entente, pas de rangement); 3) le moment de cette reconnaissance (dans plus de 3 ans, soit le 2 avril 2019); 4) le correctif salarial incomplet (seul les profs aux échelons 17 à 20 auront le plein correctif salarial associé au rangement 23) et 5) le fait que cela divise le Front commun (une partie des profs de cégeps seront parmi les rares travailleurs de l’État à ne pas s’appauvrir lors de la prochaine convention collective). Comme le correctif salarial associé au rangement 23 est l’élément clé permettant d’atteindre l’objectif numéro 1 de la négo de table centrale (freiner l’appauvrissement des employés de l’État), force est de constater qu’une part significative des profs de cégep, en plus de ne pas recevoir ce correctif salarial ou de ne le recevoir qu’en partie, s’appauvrira pendant la prochaine convention (voir le tableau ci-dessous, qui inclut l’ensemble des pourcentages de hausse salariale). Nous sommes donc, encore une fois, face à un panier de crabes!
Échelons
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Proportion des ETC réseau
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Hausse salariale projetée
(% additionnés et non composés, incluant la structure salariale et le rangement 23)
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19-20 (doctorat) | 6% | 12,75% |
18 (maîtrise) | 22% | 12,75% |
17 | 37% | 12,75% |
11 à 16 | 20% | 9,25% en moyenne |
1 à 10 | 15% | 7,75% |
- Si la hausse du coût de la vie est égale ou supérieure à 10% d’ici 2020, c’est près de 35% des profs de cégep qui vont s’appauvrir.
- Si la hausse se situe entre 8 et 9%, c’est près d’un prof sur quatre qui s’appauvrirait lors de la prochaine convention.
DES ENTENTES SOUS LE SIGNE DE L’AUSTÉRITÉ
En considérant les réserves sérieuses que nous avons émises concernant l’entente de principe à la table centrale, sommes-nous prêts à sacrifier une mobilisation exemplaire pour si peu? Accepter cette entente envoie un signe très clair au gouvernement : il peut poursuivre ses objectifs de réduction des investissements publics, et il y a fort à parier qu’il choisira de frapper durement lors des prochaines négociations, qui se feront sans aucun doute sous le signe de la rigueur budgétaire et dans un cadre financier austéritaire. Est-ce que le syndicalisme et la mobilisation devront dorénavant uniquement servir à éviter les reculs proposés par les gouvernements néolibéraux dans leurs stratégiques attaques féroces? Le Front commun n’avait-il pas porté les enjeux de la négociation sur des considérations bien plus nobles, à savoir la lutte contre l’austérité libérale et l’amélioration des conditions de travail afin de se défendre contre la privatisation tous azimuts et pour assurer la pérennité de nos services publics? Qu’en est-il de tout cela? Malheureusement, force est de constater que les ententes de principe s’inscrivent dans la logique d’austérité du gouvernement libéral. Martin Coiteux a même affirmé que «[g]lobalement, on a fait des choses qui sont certainement très positives et qui respectent le cadre budgétaire [du gouvernement.]»[6] C’est d’ailleurs ce qu’on sent dans les règlements : rangement 23 avec correctif salarial seulement pour les échelons supérieurs, réallocation des ressources plutôt qu’ajout de ressources (approche de type «efficience»), ressources pour les EESH avec reddition de comptes (bureaucratie), etc. Nous sommes d’avis que les dirigeants syndicaux ont répondu «présents» à cette logique et nous pensons que ces ententes non seulement mineront la qualité des services publics pour les cinq prochaines années, mais mineront aussi la confiance des membres envers la stratégie des membres de la haute direction syndicale.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que les membres de votre exécutif syndical voteront contre les deux ententes de principe. Nous vous invitons à tenir compte de nos arguments dans votre réflexion afin de mettre en relief ceux qui vous seront présentés par le comité de négociation. Nous vous invitons à intervenir souvent et à poser le plus de questions possibles afin que collectivement nous puissions prendre la meilleure décision.
[1] Vote des délégués : 52 POUR, 18 CONTRE, 9 abstentions. / Vote des syndicats : 40 POUR, 11 CONTRE, 6 abstentions.
[2] https://seeclg.files.wordpress.com/2013/09/2016-01-06_info-nego-entente-principe-asppc.pdf
[3] «Les 80 M$ réinvestis en éducation par Québec sont accueillis froidement», Radio-Canada.ca, 29 novembre 2015, en ligne, http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/2015/11/29/002-investissement-education-80-millions.shtml Voir également sur le site du PLQ : http://www.plq.org/fr/article/investissement-80-millions-dollars-education-soutenir-reussite-scolaire
[4] Estimations basées sur la conciliation de l’annexe budgétaire E002 de 2013-2014 (sous toutes réserves).
[5] Le gouvernement s’est engagé pour cinq ans seulement.
[6] «Une entente Québec-front commun syndical conclue, on attend les détails», Radio-Canada.ca, 18 décembre 2015, en ligne, http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2015/12/17/003-quebec-syndicats-secteur-public-entente-preliminaire-salaires.shtml